L'abbaye Royale de Chaalis, l'autre musée Jacquemart-André
Rien ne prédestinait cette ancienne abbaye royale à devenir le deuxième écrin d’une des plus incroyables collections d’œuvres d’art. En effet, avant d’être finalement acquis par la collectionneuse Nelly Jacquemart-André, ce lieu d’exception avait eu une autre fonction. Retour en arrière sur le destin de ce lieu méconnu.
C’est à partir du VIII siècle que toute l’histoire commence par un moulin à blé, installé sur le site de Chaalis. Celui-ci dépendra du maire du Palais sous la dynastie mérovingienne. Dans les années 1100, c ‘est le puissant seigneur de Mello, revenu des croisades, qui édifia un prieuré et y rattacha quelques temps plus tard une communauté religieuse déjà installée à Chaalis.
Le 10 janvier 1137, avant sa mort, le roi Louis VI fondait l’abbaye royale de Chaalis, afin de vénérer la mémoire de son cousin, Charles Le Bon. Mais également afin de s’assurer du soutien de l’église pour la pérennité de la toute nouvelle dynastie capétienne.
L’évêque Guerin, grand vainqueur de la bataille de Bouvine de 1214, accompagné des archevêques de Toulouse et de Chartres, consacrèrent la nouvelle église Notre-Dame en 1219. Cette première église cistercienne gothique avait des dimensions équivalentes à une cathédrale. Par la suite, Saint Louis y fit quelques séjours et y fit édifier la chapelle Sainte-Marie. Vers 1378, Charles V restaura quelques bâtiments monastiques. La guerre de cent ans n’épargna pas l’abbaye avec une récession économique et la vente de certains biens. La paix revenue, on dota l’église d’un clocher et d’un orgue.
A la Renaissance, le papa Léon, X donnait le droit à François 1er de nommer les titulaires ecclésiastiques grâce au Concordat de 1516. L’abbaye de Chaalis fut donc offerte en 1541, à Hippolyte d’Este, Cardinal de Ferrare, archevêque de Milan, qui était lié à la famille royale par le mariage de son frère. Proche de Paris et au milieu d’un site boisé l’abbaye reçu le roi à plusieurs reprises. C’est pourquoi, Hippolyte entrepris d’importants aménagements, comme le mur entourant la roseraie encore présent sur le site et bien d’autres merveilles aujourd’hui disparues. Néanmoins le plus précieux héritage de ce cardinal à Chaalis, reste la décoration intérieure de la chapelle Sainte Marie réalisée par Le Primatice. Cet artiste avait reçu cette commande vers 1545 avant que le cardinal ne quitte définitivement la France pour Tivoli en 1549 où il y fera réaliser les extraordinaires jardins de la villa d’Este.
Au XVIIIème siècle, l’heure était à la reconstruction des abbayes afin de leur apporter l’hygiène et les commodités. C’est donc en 1721, que Louis XV nomma son cousin, Louis de Bourbon, Comte de Clermont, arrière-petit-fils du Grand Condé, à la tête de l’abbaye. Il fit appel au grand architecte, Jean Aubert, le même qui réalisera les grandes écuries de Chantilly pour son frère le Duc de Bourbon, afin de réaliser de nouveaux bâtiments ainsi qu’un nouveau cloitre. Mais ce grand projet s’arrêta pour faute de moyen et l’abbaye fut saisie à plusieurs reprises dans le but de rembourser les emprunts. Même l’édit royal de 1768, qui interdisait aux couvents de moins de 14 religieux d’en accueillir de nouveaux, entraina d’avantage l’abbaye à sa perte. L’ère religieux du lieu sera définitivement terminé avec la Révolution Française, puisque l’abbaye devient propriété de l’état et sera par la suite vendues. C’est en 1793 que la maison conventuelle fut acquise par Pierre-Etienne-Joseph Paris. Il essaya tant bien que mal, de reconstituer le domaine foncier initial de l’abbaye. En ce tout début du XIXème siècle, il entreprit de grandes restaurations, en particulier de la chapelle Sainte Marie et de nouvelles constructions. Entre 1824 et 1846, Philippe-Louis-Armand, marquis de la Briffe, en sera le nouveau propriétaire.
Mais c ‘est en 1850, que l’abbaye entama sa glorieuse fin ou son renouveau ! Elle passa entre les mains d’une femme de la période Romantique, Rose Pamela Hainguerlot, épouse d’Alphée de Bourbon de Vatry. C’est grâce à elle, qu’en 1854, l’ancien palais abbatial fut transformé et terminé afin de devenir une véritable demeure aristocratique que nous connaissons aujourd’hui. Malgré les changements politiques de ce milieu de siècle, entre la chute de la monarchie, l’exode de la famille royale, la république et le second empire, Rose n’arrêta pas son élan bâtisseur. Elle démolit, restaure et construit, comme la nouvelle orangerie et apporte tout le confort nécessaire. Elle sera également une des trois femmes à participer au premier prix de Diane à chantilly en 1843.
Nelly Jacquemart fut la protégée de Rose, puisque celle-ci lui offrit les services de professeurs importants, comme Léon Coignet. Elle l’introduira auprès de la bonne société du moment et cette artiste peintre exposera au salon à l’âge de 22 ans. Chaalis sera un souvenir de jeunesse qui refera surface quelques décennies plus tard.
La chute du second empire et le retour d’exil de ses amis, la famille d’Orléans, sera l’occasion pour Rose de donner les dernières grandes réceptions à Chaalis. Elle s’éteignit le 11 mai 1881 et légua le domaine a son neveu Arthur Hainguerlot. Puis il passa entre les mains de la veuve de celui ci, Lydia Harvey, qui épousa en seconde noce, Joachim-Napoléon, petit-fils du roi de Naples, quatrième prince Murat. Il fera redessiner tout le parc nord avant la vente par adjudication du domaine à sa mort.
C’est à ce moment la que Nelly Jacquemart, qui avait épousé en 1881 le richissime banquier et amateur d’art, Edouard André, revient sur le devant de la scène. Veuve depuis 1894, elle était en voyage en Orient avec le prince Louis d’Orléans et le prince de la Tour d’auvergne lorsqu’elle appris que Chaalis était à vendre. Elle écourta son séjour et revint en France afin d’acquérir dans un premier temps des objets d’art lors de la vente mobilier. Et dans un second temps, afin d’obtenir le domaine au meilleur prix. Ce sera chose faite, puisque Nelly Jacquemart-André devint officiellement propriétaire de Chaalis le 14 juin 1902 pour 1 400 000 francs. Nelly entama rapidement des travaux pour ses appartements privés, qu’elle avait elle même dessinés, ainsi que de divers chantiers de restauration. A la pointe du progrès elle fit installer un ascenseur hydroélectrique et envisageait de se faire installer une ligne téléphonique.
Mais son réel gros projet était de créer un cadre exceptionnel afin d’abriter sa collection d’œuvre d’art complétée par d’autres achats lors de ses voyages en 1906 et 1909 au Moyen-Orient et en Birmanie entre autre. Un lieu aussi incroyable que son hôtel particulier du Boulevard Haussmann à Paris. Le 15 mai 1912, celle qui sera la fondatrice sans le savoir des musées Jacquemart-André rendu le dernier soupir dans sa demeure parisienne.
Comme le Duc d’Aumale avant elle pour le château de Chantilly, sa dernière volonté sera de léguer l’ensemble de ses propriétés à L’Institut de France avec une somme de 5 millions de francs pour les frais d’entretiens. Un nouveau conservateur sera nommé afin d’assurer l’entretien, la conservation et l’augmentation des collections tout en respectant le testament de Nelly.
C’est donc l’historien Louis Gillet, qui eu le privilège d’ouvrir les portes de cette maison-musée en 1913 et l’ensemble du domaine fut classé monument historique en 1965. Quand à Nelly, elle repose selon ses vœux dans la chapelle Sainte–Marie du domaine de Chaalis, proche de l’œuvre de toute sa vie : sa collection d’œuvres d’arts.